Mesurer l’impact du clientélisme sur le comportement électoral au Bénin
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Au Bénin, les électeurs ont tendance à favoriser les plateformes électorales de type clientéliste, mais certaines catégories d’électeurs, comme les femmes, les utilisateurs de moyens de communication de masse et les membres d’organisations sociales sont moins sensibles au clientélisme.
Policy issue
Les politiciens promettent souvent de distribuer des ressources aux circonscriptions locales afin d’obtenir leur soutien politique, et ce alors même que des programmes au niveau national pourraient être un moyen plus efficace d’assurer le développement social, politique et économique du pays. La notion de « clientélisme » fait référence à un ensemble de transactions entre des politiciens et des groupes de citoyens au cours desquelles des avantages matériels sont offerts en échange d’un soutien politique lors des élections. De telles pratiques risquent notamment de réduire les ressources allouées à des biens publics comme les infrastructures ou l’éducation, mais aussi d’affaiblir la concurrence politique dans la mesure où les candidats sortants utilisent la promesse d’emplois publics et autres compensations pour prendre l’avantage sur leurs opposants.
On connaît encore mal l’impact que le clientélisme politique peut avoir sur le comportement électoral, et on ignore également dans quelle mesure les stratégies clientélistes parviennent à susciter l’adhésion chez différents types d’électeurs. Il est par exemple possible que les femmes, qui sont moins susceptibles d’obtenir un emploi administratif, soient moins enclines que les hommes à soutenir les plateformes électorales clientélistes, et donc plus susceptibles de voter en faveur de plateformes mettant l’accent sur des biens publics comme les campagnes de vaccination. Si c’est le cas, des initiatives destinées à encourager la participation des femmes au processus politique pourraient contribuer à améliorer l’offre de biens publics. De même, on ignore si des politiques visant à promouvoir l’adhésion à différentes organisations sociales contribueraient à nourrir un sentiment communautaire, et donc à accroître les revendications en faveur de biens publics nationaux, ou si au contraire elles renforceraient les groupes d’intérêt et leur capacité à exiger des traitements de faveur. En savoir plus sur les facteurs déterminants du comportement électoral permettrait donc d’élaborer des politiques destinées à réduire l’attrait des stratégies électorales clientélistes et de poser ainsi les bases nécessaires à la mise en place de programmes mettant davantage l’accent sur la lutte contre la pauvreté.
Context of the evaluation
Le Bénin est considéré comme l’un des modèles de réussite du processus de démocratisation en Afrique. En 1990, le régime autoritaire du pays s’est effondré après 18 ans de pouvoir. Une nouvelle constitution a établi un système parlementaire multipartite composé d’une assemblée législative et d’un président élu par le vote populaire pour un maximum de deux mandats de cinq ans.1 Pour être élu président, un candidat doit recueillir plus de 50% des voix. Si aucun candidat ne remporte la majorité, un deuxième tour est organisé entre les deux candidats arrivés en tête pour déterminer le vainqueur. À partir de 2001, toutes les élections présidentielles du Bénin se sont décidées au deuxième tour.
Le clientélisme est une caractéristique importante de la politique électorale en Afrique. Au Bénin, la masse salariale des fonctionnaires représente entre 65 et 90% du budget de l’État, et on estime que 50% des emplois du service public ont été attribués à des électeurs en échange de leur soutien politique. Cet état de fait explique peut-être la faible qualité des prestations des services publics. Au moment de l’étude, seuls 50% des Béninois avaient accès à l’eau potable et 18% avaient accès aux soins médicaux de base, alors même que l’économie affichait un taux de croissance annuel moyen de 4,9% depuis douze ans.
Details of the intervention
Pendant le premier tour de l’élection présidentielle de 2001, les chercheurs de J-PAL ont évalué la façon dont les messages électoraux de type clientéliste affectaient le comportement électoral des individus exposés à ces messages. En collaboration avec quatre grands partis politiques (FARD-Alafia, PSD, RB et UDS) et leurs candidats, les chercheurs ont mis au point différentes versions des messages électoraux à partir des programmes existants des partis : une version « clientéliste » et une version centrée sur les biens publics. Afin d’éviter que l’intervention n’influence les résultats de l’élection, l’étude a été limitée aux districts où un seul parti dominait traditionnellement l’élection. Une fois identifiés les districts qui correspondaient à des fiefs électoraux, deux d’entre eux ont été sélectionnés aléatoirement pour chacun des quatre partis. Toutefois, l’un des districts a par la suite été exclu de l’étude parce qu’il a été remporté par un autre candidat que celui qui était pressenti.
Un village de chaque district a été sélectionné aléatoirement pour ne recevoir que des messages électoraux clientélistes, insistant sur des projets spécifiques destinés à transférer des ressources publiques vers la région ou le village en question, tandis qu’un autre a été choisi aléatoirement pour ne recevoir que des messages centrés sur les biens publics, qui mettaient l’accent sur les biens collectifs offerts par le biais des programmes nationaux. Un village supplémentaire a été sélectionné dans chaque district pour servir de village témoin : les campagnes politiques y ont été menées comme d’habitude. Dans les villages sélectionnés pour bénéficier de l’intervention, des équipes composées de représentants des partis et d'un assistant de recherche ont diffusé les messages électoraux en rendant visite à des personnalités locales influentes, en assistant à des événements sportifs et culturels et en organisant des réunions publiques.
Une enquête finale a été menée 14 mois après l’élection pour recueillir des informations sur les caractéristiques démographiques, la participation électorale, la connaissance des candidats et les choix des électeurs aux élections de 1996 et de 2001.
Results and policy lessons
En moyenne, les candidats ayant eu recours à des messages centrés sur les biens publics ont perdu des électeurs, tandis que les candidats ayant utilisé des messages purement clientélistes ont dans l’ensemble maintenu leur nombre de voix. Les électeurs des villages exposés uniquement aux messages centrés sur les biens publics étaient environ 25% moins susceptibles de favoriser le candidat dominant que ceux des villages témoins. Les messages clientélistes ne semblent pas avoir eu d’impact sur le comportement électoral, sans doute parce que les messages électoraux diffusés dans les villages témoins étaient eux aussi de nature clientéliste.
Genre : Les femmes semblent avoir été plus sensibles que les hommes aux plateformes électorales centrées sur les biens publics. Dans les villages exposés uniquement à ce type de messages, les femmes étaient beaucoup moins susceptibles que les hommes de soutenir le candidat dominant.
Appartenance ethnique : L’appartenance ethnique n’a influencé le comportement électoral que dans les villages exposés aux messages centrés sur les biens publics. Chez les électeurs de ces villages ayant des liens ethniques avec le candidat dominant, la probabilité de soutenir ce dernier était plus élevée de 15 points de pourcentage que chez les électeurs des villages test n’ayant aucun lien ethnique avec le candidat dominant. Il est possible que les électeurs appartenant au même groupe ethnique que le candidat dominant aient été plus sensibles aux messages de politique publique parce qu’ils pensaient que leur groupe ethnique bénéficierait plus que les autres d’un plan national de développement, ou que leurs liens ethniques les mettraient dans une position exceptionnellement favorable pour contrôler la mise en pratique des programmes centrés sur les biens publics, traditionnellement plus difficile à superviser que l’offre de biens clientélistes.
Implication dans les réseaux sociaux nationaux : Les électeurs qui étaient en relation avec des réseaux extérieurs à leur village, que ce soit parce qu’ils avaient accès aux médias ou parce qu’ils étaient adhérents à un parti politique, à un syndicat ou à une ONG, étaient plus susceptibles de soutenir le candidat dominant lorsque celui-ci faisait campagne sur un programme centré sur les biens publics. Ce résultat est peut-être lié au fait que les électeurs qui écoutent la radio, regardent la télévision, lisent le journal et sont membres d’une organisation nationale comprennent mieux les problèmes auxquels d’autres régions sont confrontées, voyagent plus et ont davantage le sentiment d’appartenir à une communauté nationale. En outre, il est plus facile pour les électeurs exposés aux médias de surveiller la mise en œuvre des programmes nationaux.
Débats politiques : Les électeurs ayant participé à des débats politiques locaux étaient moins sensibles aux messages électoraux centrés sur les biens publics, peut-être parce que de tels débats renforcent la camaraderie locale et augmentent donc les revendications en faveur d’une redistribution des ressources à destination de la localité.