Distribution gratuite de moustiquaires imprégnées d'insecticide
La problématique
Chaque année, 500 millions de cas de paludisme sont relevés dans le monde et 1,5 million personnes en meurent. La majorité de ces décès ont lieu en Afrique subsaharienne, qui abrite environ 80 % des personnes atteintes de paludisme1. Les experts en santé publique et les autorités publiques admettent depuis longtemps que la prévention par l'utilisation généralisée de moustiquaires imprégnées d'insecticides (ci-après moustiquaires) est le moyen le plus efficace pour prévenir et contrôler le paludisme. Pourtant, le nombre de moustiquaires utilisées reste particulièrement faible au sein des groupes les plus vulnérables tels que les femmes enceintes et les enfants.
Les chercheurs et les responsables politiques s'accordent à considérer que la fourniture de produits de santé donnant lieu à des externalités positives devrait être financée par des fonds publics. Mais il existe également un débat ancien sur la part du prix qui doit rester à la charge des bénéficiaires de ces programmes de santé publique. Selon les analyses économiques classiques, les biens (comme les MII) qui ont un bénéfice positif (comme réduire la transmission du paludisme) sur toute la communauté quand ils sont utilisés individuellement, devraient être subventionnés en grande partie ou même être gratuits, en fonction du niveau de bénéfice individuel.
Certains affirment que faire payer les produits de santé pourrait augmenter leur taux d'utilisation en écartant ceux qui n'y attachent pas d'importance et en incitant les gens à légitimer leur achat en utilisant le produit. De plus, faire payer ces biens pourrait augmenter les recettes et ainsi permettre aux programmes d'être durables. Toutefois, le partage des coûts peut réduire le nombre de bénéficiaires du programme en décourageant la demande. Et si les gens qui n'ont pas les moyens ont plus de chance d'être exposés au paludisme, alors en les excluant à cause du prix, faire payer pourrait réduire de façon significative les bénéfices sanitaires d'une subvention partielle.
L'évaluation
L'association Together Against Malaria (Ensemble contre le paludisme), ou TAMTAM, distribue gratuitement des moustiquaires dans les cliniques prénatales au Kenya pour favoriser son utilisation par les femmes enceintes et les enfants2. D'autres organisations, comme Population Service International (PSI), fournissent des moustiquaires à un prix subventionné dans les mêmes régions. Pour tester s'il est préférable de distribuer gratuitement des moustiquaires ou de demander aux bénéficiaires d'en payer une partie, Pascaline Dupas, affiliée J-PAL, et Jessica Cohen ont évalué en 2006 l'approche de TAMTAM. Dans 16 dispensaires sélectionnés aléatoirement, des moustiquaires ont été distribuées à un prix subventionné, avec une réduction variant entre 90 et 100 % du prix du marché.
Les chercheuses ont constaté que faire payer les moustiquaires même à un prix très faible, diminuait considérablement la demande : la consommation de moustiquaires est baissée de 60 points de pourcentage quand le prix est passé de 0 à 0,60 $ (c'est à dire de 100% à 90 % de subvention). De plus, les femmes ayant payé leurs moustiquaires n'étaient pas plus susceptibles de les utiliser que celles qui les recevaient gratuitement. Ainsi le fait de vendre les moustiquaires n'entraînant pas une utilisation plus importante se traduit finalement par un nombre absolu plus réduit de moustiquaires utilisées (ce qui est contraire à l'objectif poursuivi). Pour plus d'informations sur ce projet, consultez la page de cette évaluation et la page sur sur le rapport coût-efficacité.
Contribution au débat
Au cours de ces dernières années, de nombreuses organisations ont repensé leurs politiques de distribution des services de santé, en optant pour la distribution gratuite des moustiquaires ou d'autres produits de santé. La suppression d'une participation aux frais pour les utilisateurs est maintenant fortement soutenue par un certain nombre d'institutions influentes dont la the UK's Foreign, Commonwealth and Development Office (FCDO) ou Save the Children (Sauvez les enfants), la United Nations Millenium Project (Projet du Millénaire des Nations-Unies) et la Commission pour l'Afrique3. En 2009, le gouvernement britannique a cité l'étude de Jessica Cohen et Pascaline Dupas en lançant un appel pour l'abolition de la participation aux frais pour les produits et de services de santé dans les pays pauvres. De nombreux pays, dont le Burundi, le Népal, le Malawi, la Zambie, la Sierra Leone, le Ghana et le Libéria ont répondu à cet appel, en prenant des mesures importantes pour une mise à disposition de services gratuits4.
L'association Population Services International (PSI) est leader en matière de prévention du paludisme, grâce à l'assistance technique qu'elle fournit aux ministères de la santé de plus de 30 pays dans le monde. Pendant longtemps, PSI a soutenu la participation aux frais pour les moustiquaires considérant que le fait de payer augmentait l'utilisation et favorisait la durabilité5. Désormais PSI s'oriente de plus en plus vers la distribution gratuite de moustiquaires pour les femmes enceintes au Kenya et met en œuvre plusieurs stratégies de distribution des moustiquaires: distribution régulière aux structures individuelles, distribution gratuite massive pour une diffusion rapide et collaboration avec le secteur privé dans certaines zones. Par exemple, au Kenya, le PSI a distribué des moustiquaires gratuites aux femmes enceintes par l'intermédiaire de 3000 cliniques prénatales publiques tout en subventionnant parallèlement les moustiquaires vendues dans le commerce6. La Banque Mondiale a également commencé à modifier sa position, et l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) soutient la distribution gratuite de moustiquaires7.
References
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Cohen, Jessica, and Pascaline Dupas. 2010. "Free Distribution or Cost-Sharing? Evidence from a Randomized Malaria Prevention Experiment." Quarterly Journal of Economics 125 (1): 1-45. https://doi.org/10.1162/qjec.2010.125.1.1.
Dupas, Pascaline. 2009. "What Matters (and What Does Not) in Households’ Decision to Invest in Malaria Prevention?” American Economic Review 99 (2): 224-30. https://doi.org/10.1257/aer.99.2.224.
Dupas, Pascaline. 2014. “Short-Run Subsidies and Long-Run Adoption of New Health Products: Evidence from a Field Experiment.” Econometrica 82 (1): 197-28. https://doi.org/10.3982/ECTA9508.
Kremer, Michael, and Edward Miguel. 2007. "The Illusion of Sustainability." Quarterly Journal of Economics 122: 1007-1065. https://doi.org/10.1162/qjec.122.3.1007.
Meredith, Jennifer, Jonathan Robinson, Sarah Walker, and Bruce Wydick. 2013. “Keeping the Doctor Away: Experimental Evidence on Investment in Preventative Health Products.” Journal of Development Economics 105: 196-210. https://dx.doi.org/10.1016/j.jdeveco.2013.08.003.
Peletz, Rachel, Alicea Cock-Esteb, Dorothea Ysenburg, Salim Haji, Ranjiv Khush, and Pascaline Dupas. 2017. "Supply and Demand for Improved Sanitation: Results from Randomized Pricing Experiments in Rural Tanzania." Environmental Science & Technology 51 (12): 7138-7147. https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.est.6b03846.