Déparasiter pour améliorer la fréquentation scolaire

Des recherches ayant démontré que la distribution de comprimés vermifuges dans les écoles des régions où le taux d’infection est particulièrement élevé permettait d’améliorer l’état de santé des élèves et leur fréquentation scolaire, cette approche a été déployée à grande échelle jusqu’à toucher plus de 280 millions d’enfants en 2019.
Kenya’s National School-Based Deworming Programme rolls out in Kwale province, Kenya.
Lancement du programme national de déparasitage scolaire dans la province de Kwale, au Kenya.

Le déparasitage en milieu scolaire est une intervention peu coûteuse qui s’appuie sur les infrastructures scolaires existantes : les enseignants sont formés à administrer un traitement vermifuge (des comprimés sans danger) à tous les élèves des écoles primaires lors de « journées de déparasitage » spécialement programmées à cet effet, une à deux fois par année scolaire. Les comprimés étant peu coûteux par rapport au diagnostic individuel, qui nécessite l’analyse d’un échantillon de selles en laboratoire, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande d’administrer périodiquement un traitement à grande échelle dans les régions où plus de 20 % des enfants sont infectés par des vers intestinaux. Une étude menée par Michael Kremer (Harvard) et Edward Miguel (Université de Californie, Berkeley), deux professeurs affiliés à J-PAL, a démontré que le déparasitage des élèves à l’école permettait d’améliorer l’état de santé des enfants et leur assiduité scolaire au Kenya. Par la suite, d’autres recherches ont montré que de telles campagnes de déparasitage augmentaient également la proportion de filles qui réussissent l’examen de fin de cycle primaire et vont à l’école secondaire, ainsi que le nombre d’heures travaillées par les hommes ayant fréquenté les écoles traitées dans leur enfance. Les études menées par les membres affiliés de J-PAL ont entraîné le lancement de campagnes de déparasitage scolaire en Éthiopie, en Inde, au Kenya, au Nigéria et au Vietnam.

Le problème

Les vers intestinaux ont un impact sur la santé et l’assiduité scolaire des élèves.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que plus de 835 millions d’enfants ont besoin d’un traitement contre les vers intestinaux, qui se transmettent par contact avec de l’eau ou de la terre contaminée par des matières fécales.1 Les infections par les vers peuvent réduire l’absorption des nutriments par le corps, entraînant anémie et malnutrition, et affaiblir la réponse immunitaire à d’autres infections telles que le paludisme. Les enfants atteints sont parfois trop malades pour aller à l’école ou trop fatigués pour se concentrer en classe. Dans la mesure où les vers intestinaux sont particulièrement répandus dans les pays à faible revenu, où le diagnostic est relativement coûteux, l’OMS recommande l’administration périodique et massive de médicaments anthelminthiques à certains groupes de personnes vivant dans les régions d’endémie. Les traitements vermifuges par voie orale sont extrêmement efficaces en une seule dose, pour un coût de quelques centimes par comprimé, et sont sans danger pour les personnes qui ne sont pas infectées par des vers. Leur administration périodique tous les 6 à 12 mois permet de lutter contre les réinfections et les problèmes de santé associés à une charge parasitaire élevée.

Les vers intestinaux sont très répandus dans les pays en développement et peuvent avoir des effets dévastateurs. On constate toutefois une prise de conscience croissante de la facilité d’administration et du faible coût des traitements vermifuges, ainsi que des surprenants bienfaits socio-économiques qui en découlent à plus long terme. Des études montrent que les campagnes de déparasitage sont extrêmement efficaces et peu coûteuses : en d’autres termes, on en a largement pour son argent.

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The New York Times, blog Fixes. Avril 2012.

La recherche

La distribution de vermifuges dans les écoles a amélioré la fréquentation scolaire à court terme, la productivité à long terme et a également profité aux voisins et aux frères et sœurs des élèves traités.

Entre 1998 et 2001, Kremer et Miguel ont évalué le projet de déparasitage des écoles primaires au Kenya. Ce programme distribuait aux élèves des comprimés vermifuges contre les vers intestinaux transmis par le sol et la schistosomiase et leur fournissait des conseils d’hygiène pour éviter les infections parasitaires dans 75 écoles primaires du district rural de Busia, au Kenya.

Pour un coût inférieur à 0,60 $ US par enfant et par an, la distribution de comprimés vermifuges dans les écoles a permis de réduire de 61 % les infections graves par les vers et de faire reculer de 25 % l’absentéisme à l’école. Le programme a également eu des effets de diffusion positifs, puisqu’il a permis de réduire la transmission de la maladie chez les enfants non traités des écoles du groupe de traitement, ainsi que chez les enfants fréquentant des écoles situées dans un rayon de trois kilomètres autour des écoles traitées. Contrairement aux études antérieures, les chercheurs ont pu quantifier ces retombées et ont ainsi montré que les études précédentes avaient sous-estimé les bénéfices du déparasitage.

Des études récentes menées de façon rigoureuse dans trois contextes différents suggèrent que le déparasitage des enfants a un impact substantiel sur la fréquentation scolaire, les facultés cognitives et les résultats scolaires, ainsi que sur la situation des individus sur le marché du travail à l’âge adulte.

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Vox, portail du CEPR, août 2015

Une étude de suivi à long terme a démontré que le déparasitage avait également un impact positif sur la réussite scolaire et les revenus futurs. La distribution de vermifuges a considérablement amélioré la situation scolaire des filles, augmentant leur taux de réussite à l’examen d’entrée à l’école secondaire de 9,6 points de pourcentage par rapport à la moyenne du groupe témoin, qui était de 41 %. En outre, les hommes ayant reçu un traitement vermifuge pendant leur enfance travaillaient 3,5 heures de plus par semaine, consacraient plus de temps à des activités d’entrepreneuriat et étaient plus susceptibles d’occuper des emplois mieux rémunérés dans le secteur manufacturier que leurs pairs non traités.

On estime que l’impact du déparasitage scolaire correspond à 11,9 années d’instruction supplémentaires par tranche de 100 $ US dépensés. Parmi les interventions qui ont été rigoureusement testées dans le cadre d’évaluations aléatoires, le déparasitage en milieu scolaire est l’un des moyens les plus rentables d’améliorer la fréquentation scolaire.

Graph: cost-effectiveness of programs to improve student participation

Pour plus d’informations sur ce projet, voir la synthèse de l’évaluation.

Des résultats aux politiques

Sur la base des recherches menées par les membres affiliés de J-PAL, des campagnes de déparasitage en milieu scolaire ont été adaptées et déployées à grande échelle en Éthiopie, en Inde, au Kenya, au Nigéria et au Vietnam.

Suite à la présentation des conclusions de la recherche sur l’impact du déparasitage scolaire par Michael Kremer et Esther Duflo (MIT) au Forum économique mondial de 2007, l’organisation indépendante Deworm the World a été créée afin de coordonner l’assistance technique et les activités de sensibilisation en faveur de programmes durables et massifs de déparasitage en milieu scolaire.

En 2009, Raila Odinga, alors premier ministre du Kenya, a annoncé le lancement du programme national de déparasitage en milieu scolaire lors de la réunion annuelle du Forum économique mondial. Ce programme repose sur une collaboration entre les ministères kenyans de l’éducation, des sciences et de la technologie, et de la santé. Le programme national de déparasitage scolaire du Kenya en est actuellement à sa septième année d’existence depuis sa reprise en 2011, et traite systématiquement plus de six millions d’enfants dans l’ensemble du pays. Même pendant la pandémie de Covid-19, le programme est parvenu à traiter plus de 2,8 millions d’enfants deux mois seulement après la réouverture des écoles.

En 2010, J-PAL a organisé une conférence avec le gouvernement de l’État indien du Bihar afin de lui présenter les preuves rigoureuses de l’impact du déparasitage scolaire et d’autres programmes prometteurs. Suite à ces discussions, le gouvernement du Bihar, avec le soutien de Deworm the World, a lancé une campagne de déparasitage dans tout l’État qui a permis de traiter 17 millions d’enfants en 2011. D’autres programmes de déparasitage à grande échelle ont suivi en Andhra Pradesh, à Delhi et au Rajasthan les années suivante, puis, en février 2015, le gouvernement indien a finalement lancé un programme national de déparasitage. 260 millions d’écoliers bénéficient désormais de ce programme chaque année. Lorsque les établissements scolaires ont fermé leurs portes pendant la pandémie de Covid-19, le gouvernement a adapté le programme pour qu’il puisse être administré par le personnel de santé de première ligne.

L’Initiative Deworm the World est désormais un programme de l’organisme à but non lucratif Evidence Action, qui établit des partenariats durables et offre une assistance technique pour soutenir les gouvernements, y compris ceux du Kenya et de l’Inde, dans le lancement, le suivi et la pérennisation de programmes de déparasitage scolaire. Le gouvernement éthiopien a également créé un programme national de déparasitage en milieu scolaire en 2015, avec le soutien de l’initiative Deworm the World et de la Schistosomiasis Control Initiative, en s’inspirant des bonnes pratiques adoptées en Inde et au Kenya. En 2017, ce programme a traité près de 15 millions d’enfants.

Entre 2014 et 2020, l’initiative Deworm the World s’est associée avec le gouvernement du Vietnam pour renforcer le fonctionnement, la portée et le suivi de son programme de déparasitage en milieu scolaire. Depuis 2016, Deworm the World soutient également la distribution de traitements vermifuges au Nigéria, où la campagne de déparasitage a touché 4,8 millions d’enfants dans quatre États en 2021.

En 2016, une enquête a été menée à l’échelle nationale au Pakistan afin de cartographier la prévalence des vers intestinaux et l’intensité parasitaire. Les résultats de cette enquête ont indiqué qu’il était nécessaire d’administrer un traitement vermifuge annuel à environ 17 millions d’enfants d’âge scolaire dans 45 districts à risque à travers le pays. Avec le soutien d’Evidence Action et de son partenaire Interactive Research & Development, le ministère fédéral de la planification, du développement et des initiatives spéciales a intégré le programme de déparasitage au plan quinquennal du gouvernement pakistanais en 2019. En 2021, le gouvernement a lancé sa première campagne nationale de sensibilisation au déparasitage afin de faire connaître l’Initiative pakistanaise de déparasitage à l’échelle nationale. Cette année-là, 8,3 millions d’enfants pakistanais ont reçu un traitement vermifuge.

Au-delà de ces stratégies nationales, l’Organisation Mondiale de la Santé a également cité ces recherches pour justifier l’expansion de son programme de déparasitage.

L’étude menée par Michael et ses collègues a confirmé les bénéfices du déparasitage et a préconisé et favorisé l’expansion d’un programme qui, rien qu’en 2018, a permis de traiter plus de 450 millions d’écoliers dans le monde.

— Antonio Montresor, responsable du programme de contrôle des helminthiases transmises par le sol, OMS 2019.

Cette étude de cas a initialement été publiée en octobre 2018, puis a été mise à jour en septembre 2022 pour inclure les évolutions récentes du programme, notamment les adaptations à la pandémie de Covid-19.

Références

Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab (J-PAL). 2017. “Roll Call: Getting Children into School.” J-PAL Policy Bulletin. Dernière modification : août 2017. https://www.povertyactionlab.org/publication/roll-call-getting-children-school.

Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab (J-PAL). 2020. "Deworming to increase school attendance." J-PAL Evidence to Policy Case Study. Dernière modification : septembre 2022. 

Bobonis, Gustavo, Edward Miguel, and Charu Puri-Sharma. 2006. "Anemia and School Participation." The Journal of Human Resources 41 (4): 692-721. https:///doi.org/10.3368/jhr.XLI.4.692.

Miguel, Edward, and Michael Kremer. 2004. "Worms: Identifying Impacts on Education and Health in the Presence of Treatment Externalities." Econometrica 72 (1): 159-217. https:///doi.org/10.3368/jhr.XLI.4.692.

1.
World Health Organization. 2018. “Soil-Transmitted Helminth Infections.” WHO Fact Sheets, 20 fevrier 2018.